C'EST avec un vif plaisir que je vois mon ouvrage: Science et Religion introduit en anglais dans les pays de langue anglaise, auxquels m'attachent des liens si étroits de reconnaissance intellectuelle et morale. J'apprécie d'autant plus ce privilége, que le travail de M. Jonathan Nield n'est pas une simple transcription littérale du français en anglais, mais une véritable traduction, qui, remontant du texte à la pensée même, sait modifier la forme pour conserver le fond. J'ai lu en grande partie cette traduction, et l'ai trouvée très soignée, très nette, très exacte, très intelligemment et scrupuleusement fidèle. Je suis même redevable au traducteur de quelques corrections, pour lesquelles je lui adresse mes bien sincères remerciements.
J'espère que le point de vue où je me suis placé intéressera le lecteur anglais. Selon moi, l'esprit humain, désormais, ne peut plus se contenter de maintenir, côte à côte, la religion et la science, comme deux faits bruts, sans s'inquiéter de l'accord ou du désaccord qui peut exister entre elles. D'autre part, les anciens systèmes de conciliation rationnelle ne satisfont plus, ni le savant, ni le croyant, ni le philosophe. Ma position, en cette matière, n'est, proprement, ni celle du rationaliste dogmatique, qui impose à l'être, a priori, des formes données et immuables, ni celle du pragmatiste radical, qui ne consent a justifier le fait que par le fait, et qui ne voit dans une idée vraie autre chose qu'une idée empiriquement vérifiée. Je m'applique à distinguer, de la science positive, classification logique des faits réalisés et observés, la raison proprement dite, besoin spontané et perfectible d'harmonie et de convenance, et effort pour réaliser ces conditions dans la connaissance et dans la vie.
Au nom de cette raison vivante, je scrute l'idée d'une vie pleinement humaine. Et je trouve que, rapportées à une telle vie, comme à leur source et à leur fin communes, la science et la religion sont toutes deux également nécessaires, et se concilient quant à leurs principes essentiels. La science a trait aux choses sans lesquelles l'homme ne peut pas vivre, la religion à celles sans lesquelles il ne veut pas vivre.
ÉMILE BOUTROUX.